Une première en solo au Stetind, Robert Jasper raconte son aventure extrême

Robert Jasper est un alpiniste connu et reconnu dans ce milieu si confidentiel des aventures sportives en montagne. Attiré par l’impressionnante face de l’Eiger où il a traîné ses guêtres, son baudrier et son assureur – pas un agent MMA – mais ce petit appareil qui permet de grimper en solitaire avec un minimum de sécurité. C’est aussi un glaciairiste très doué qui a accompagné la naissance du dry-tooling. Mais sa principale motivation reste l’alpinisme en solo et s’ il préfère grimper en étant auto-assuré, il n’hésite pas à se lancer d’énormes défis personnels et à explorer de nouvelles voies sur des terrains inconnus et fragiles, comme au Groenland.

©Photos : Robert Jasper – Shutterstock

STETIND, UN PIC MONOLITHE DE GRANIT DE 1392 M

Situé dans le Nordland, plus précisément dans le Tysfjord, le Stetind est la montagne nationale de la Norvège. Entre les villes de Bodø et Narvik, c’est le pic norvégien classique de près de 1400 mètres au-dessus du niveau de la mer, le Stetind est décrit comme un obélisque parfait en granit pur, dont les crêtes s’élèvent directement du fjord. Point de repère bien connu des marins le long de la côte, cette montagne verticale, abrupte et en forme d’enclume est un lieu de prédilection pour les alpinistes.

William C. Slingsby, le père de l’alpinisme norvégien, a un jour qualifié le Stetind de « montagne la plus laide que j’aie jamais vue ». Cela a peut-être un rapport avec son ascension verticale apparemment impossible – ou avec le fait qu’il a été gravi avec succès par son rival Ferdinand Schjelderup en 1910 ! Le professeur et philosophe Arne Næss s’est imposé comme le roi du Stetind lorsqu’il a introduit l’escalade par point d’assurance percé en Norvège à la fin des années 1930. Un certain nombre de voies techniques impressionnantes qui l’ont amené au sommet existent toujours.

 

 

Le Pilier sud est l’un des plus classiques itinéraires d’escalade en grandes voies en Norvège. C’est un programme parfait pour les grimpeurs expérimentés. Une course d’environ 10 à 14 heures. Une escalade fantastique de 14 longueurs dans le niveau 4 et 5
et des variantes en 6. L’itinéraire suit le pilier marqué qui se dresse sur la face sud de la montagne. Ensuite, il se prolonge sur des dalles, quelques fissures et les dièdres sur un granit pur depuis une crête appelée Kongelosjen, à environ 900 mètres du niveau de la mer, jusqu’au sommet de Stetind. Le sommet est un « monde en soi », formé d’éboulis et de pentes raides, lisses et glissantes de roche nue.

STETIND, MON VOYAGE SOLO

En cette fin de juillet 2020, ne pouvant pas y retourner, Robert a jeté son dévolu sur les fjords de Norvège et le Stetind, ce magnifique obélisque de granite, devenu au fil des années, l’emblème de la montagne norvégienne. Voilà le récit de son expérience dans cette nature sauvage et silencieuse.
Article tiré du magazine alpinemag.fr

“J‘ai dû reporter mon expédition solo au Groenland cette année en raison de la crise du Covid et d’une interdiction d’entrée sur ce territoire. Le nord de la Norvège m’est venu à nouveau à l’esprit comme alternative. Le temps du confinement a été difficile et c’était une sensation formidable de pouvoir finalement voyager à nouveau, de grimper et de profiter de la tranquillité des montagnes.”

“En 1998, ma femme Daniela et moi avons visité les îles Lofoten, un archipel au nord du cercle polaire. Nous vivions notre lune de miel version escalade, là où de puissantes montagnes s’élèvent directement de l’océan. Nous avons pu faire la première ascension de Freya sur la face nord du Vagakallen, un itinéraire de 900 mètres allant jusqu’au 7c. C’était notre plus belle réussite. Au loin, j’ai vu la pyramide du Stetind pour la première fois. La Norvège est depuis lors une destination de rêve pour moi. Surtout en hiver pour les cascades de glace. Ses chaînes de montagnes sauvages aux murs de granit sont magnifiques et restent pour la plupart totalement méconnues dans mon pays.”

 

“Le Stetind, également appelé l’enclume des dieux, est l’un des plus grands obélisques de granit sur terre. Et depuis lors, il figure sur ma liste de projets. En escalade en solo auto-assuré, le grimpeur s’auto-assure quand le terrain devient difficile. Cela signifie que la longueur doit être grimpée en tête, avec auto-assurance, puis il faut redescendre en rappel pour enlever les protections avant de remonter jusqu’au relais supérieur. Ce qui fait que l’on parcourt chaque longueur deux fois à la montée, et une fois à la descente. Après quelques escalades plus faciles en solo pour m’échauffer, je me suis concentré sur mon objectif principal.”

“Dès que le mauvais temps du grand nord a laissé place à une météo plus favorable, j’étais déjà au pied de la face sud du Stetind, une paroi d’environ 800 mètres de haut. J’ai grimpé le début en solo sans assurance jusqu’à ce que le mur commence à devenir plus raide. J’ai abandonné mon plan initial de gravir la voie Guldfisken car des chutes de pierres avaient déjà recouvert de gravats les vires au pied des difficultés.”

“À droite, un dièdre sensiblement grand avait l’air grimpable. Le seul problème était qu’il se terminait sur des dalles lisses. Un point d’interrogation demeurait quant à la possibilité de poursuivre au-dessus de ce dièdre. Un terrain inexploré ! Mais ma plus grande passion est d’explorer des terrains inconnus. Je ne sais pas à quoi m’attendre et cela implique une bonne dose d’aventure. Réaliser ce type d’ascension en solitaire représente pour moi le plus grand des défis.”

“Longueur après longueur, j’ai grimpé, puis je suis descendu et suis remonté. C’était fastidieux mais au moins je n’avais pas froid, car je n’avais pas de pause entre les deux et continuais à bouger en permanence. Je suis arrivé à développer une routine en solo auto-assuré.”

“Au fil des années, j’ai progressé jusqu’à avoir un bon rythme soutenu. Je suis à peu près aussi rapide qu’une cordée de deux alpinistes. Par contre les défis et les risques sont beaucoup plus élevés en solo et chaque étape doit être mûrement réfléchie. Mais j’aime particulièrement être seul dans la nature avec moi-même. Le contraste avec la vie quotidienne est très fort lors de situations extrêmes en montagne. Ce contraste m’ouvre les yeux et je me sens grandir grâce à cette expérience, et cela, à bien des égards.”

“J’ai atteint le pilier sud du Stetind après les deux tiers de la paroi, en escalade libre, utilisant uniquement le rocher, et les protections sur coinceurs dans un style d’escalade propre. Dix heures plus tard, j’ai atteint le sommet à minuit. J’ai réussi la première ascension de Goldfinger (6b+), une nouvelle variante sur le pilier sud. Le soleil de minuit avait disparu sous l’horizon mais il faisait assez clair toute la nuit pour grimper sans lampe frontale. Des vents forts ont rendu la descente difficile mais j’ai atteint le camp de base dans le Tysfjord après 20 heures, fatigué mais heureux.”

LA NORVÈGE EST UN PARADIS ABSOLU
POUR LES GRIMPEURS QUI AIMENT L’AVENTURE
ET L’ESCALADE SAUVAGE

Après quelques jours de repos, d’autres itinéraires m’ont tenté, comme la première ascension en solitaire de Torskefiskaren (6b +, sur coinceurs, 300 m), un itinéraire difficile sur Kugelhornet. Aussi, la traversée de l’Eidetind depuis l’Engelsdiederet et la première ascension en solitaire de la Variante suisse (6a +, 300 m) sur le pilier sud-est du Rundtind.

Pour résumer, je peux dire que la Norvège est un paradis absolu pour les grimpeurs qui aiment l’aventure et l’escalade sauvage ! Les voies d’escalade sont à peine équipées et vous devez vous protéger vous-même. Tout cela dans un paysage de montagnes fantastiques avec une météo en constante évolution. C’est une aventure au sens propre.

ROBERT JASPER,
L’UN DES PLUS GRANDS ALPINISTES ALLEMANDS

Robert Jasper a grandi dans la Forêt-Noire et a appris à grimper là-bas ainsi que dans les montagnes du Jura suisse, près de Bâle. Il est professeur de sport, guide de montagne et de ski certifié et formateur de guides de montagne. Il est marié à Daniela Jasper, qui est également une alpiniste extrême. Ils vivent à Schopfheim et ont deux enfants. Robert Jasper est le frère du caméraman Bernhard Jasper.

Jasper s’est fait connaître sur la scène de l’escalade en 1991 lorsqu’il a escaladé seul les trois grandes faces nord de l’Eiger, des Grandes Jorasses et du Cervin sur des voies difficiles. Jasper fut particulièrement attiré par la face nord de l’Eiger dans les années qui suivirent. Les succès les plus notables ont été la première ascension en solitaire de la “voie édenté du Spit verdonesque” (6b, A1), la première ascension libre du “Yéti” (7a+) et l’ouverture de la première voie de l’Eiger au dixième niveau de difficulté avec “Symphonie de liberté” (7b+) avec sa femme Daniela.

En 2009, il a pu gravir pour la première fois la “Direttissima japonaise” (8a) avec Roger Schäli, et en 2010 également la Direttissima “John Harlin” (7a M8 ; 20 au 23 septembre 2010). Aux Grandes Jorasses, Jasper a pu pour la première fois gravir librement l’itinéraire mixte “No Siesta” (M8). Sur le Cervin, il réalise la première ascension de la voie de “la Liberté” (6a+, A2). Il a également réalisé de nombreuses et très difficiles ascensions en solo et sur glace.

Au Cerro Murallón en Patagonie, en 2005, il ouvre avec Stefan Glowacz la voie “Autant en emporte le vent” (7a+, A2, M5) sur le pilier nord, ce qui leur vaut une nomination au Piolet d’Or. Il a réussi à gravir le Cerro Torre en un temps record de 16,5 heures depuis le camp de base.

www.robert-jasper.de