Støvelen et Philippe Batoux

Nous sommes vendredi soir et nous allons au Grand Bivouac d’Albertville à la soirée du CAF. C’est un événement annuel, le rendez-vous des aventuriers et des voyageurs, où la programmation de très films et reportages permet de découvrir de nouveaux horizons et de partager avec les auteurs, de bien belles émotions.
Ce soir à la Salle de Maistre, projection d’un film présenté par Philippe Batoux, “Støvelen et les garçons”. Déjà le titre m’a bien fait marrer. Comprennent ceux qui ont une petite sœur qui, pour rien au monde, n’a pas raté un épisode. Car en norvégien, “ Støvelen og guttene”, ça marche beaucoup moins bien !

©Photos : Vincent Thiebaut – Philippe Batoux – Alexandre Marchi

Nous avons été scotchés et avons apprécié les images de cette première hivernale, quelques touches d’un humour décalé en prime. Un exploit sportif, une aventure humaine mise en image par Bruno Peyronnet. Puis un long temps d’échange avec Philippe a été très instructif quant aux conditions si particulières d’une telle ouverture en alpinisme dans ce coin du globe.

Pour ma part, j’ai découvert cette montagne lors de mon premier voyage dans le fjord de Lyngen en 2009, la même année avec mon ami guide, Hervé Qualizza. C’est depuis notre voilier en route vers Koppangen, que cette face vue de la mer, se dévoile comme une pyramide impressionnante et inhospitalière mais fascinante. Et c’est quand on est au pied de celle-ci que l’on mesure la hauteur de l’exploit et des efforts qu’il faut déployer pour venir à bout de cette face car les faiblesses, les couloirs ne sont pas légion pour imaginer un itinéraire. Un immense respect pour ces 7 garçons. Alors profitons du récit de Philippe Batoux.

UNE JOURNÉE SACRÉMENT LONGUE

Avril 2008 : Je dîne avec Benoît Robert, qui revient tout juste d’un séjour ski et voile dans les Alpes de Lyngen. Il me montre ses photos de Støvelen, une paroi abrupte de 850 m émergeant tout droit de la mer et parsemée de lignes fines. Je suis immédiatement intrigué et je dois y aller. Il y a tellement de premières ascensions à faire sur cette face que le projet est né. Je me connecte à Google Earth. La région semble parfaitement conçue pour la formation de cascades de glace, des falaises surmontées de pentes enneigées.
Le premier obstacle est le coût. Pour un Français, les prix norvégiens sont exorbitants. Le prix de la location d’un bateau équivaut à environ six mois de salaire. Mais malgré le coût, finalement fortement réduit par nos partenaires Millet et Petzl, il n’y a eu aucun problème à trouver des personnes souhaitant nous accompagner. J’ai constitué une équipe composée essentiellement de guides et d’aspirants, même si j’étais le seul à connaître tous les autres membres : Gérald Durant, Thierry Franc, Dorian Labeye, Benoît Robert et Ludovic Seiffert. J’ai aussi interrogé un ami, Bruno Peyronnet, cinéaste. En faisant un film, nous espérons financer le voyage.

Début mars 2009, nous atterrissons à Tromsø après une saison hivernale exceptionnelle en France, où j’ai grimpé 50 jours sur glace. Le capitaine du bateau, Ivar Bertelsen de Boreal Yachting, nous amène à la base de Stovelen (N 69°43’32.04″, E 20°16’54.07″). La face semble plus sèche que sur les photos et une seule des lignes que nous avions envisagées semble réalisable. Nous remontons le couloir à droite de cette face tant convoitée pour aborder la descente, ce qu’il va falloir certainement faire dans l’obscurité. Le couloir est en très bonne condition, plaisant à skier, tout comme les pentes raides situées directement sous le sommet de Stovelen.

Au lever du soleil, le lendemain 5 mars, nous nous dirigeons vers la face. L’approche des 25 m nous séparant du rivage se fait grâce au Zodiac depuis le bateau. Nous mettons nos crampons et nous nous encordons sur la plage. Au-dessus 850 m nous attendent. L’itinéraire suit la seule faiblesse évidente du mur. Les sections de glace et mixtes sont reliées par des pentes de neige qui nous inquiètent. Il a neigé récemment, avec beaucoup de vent, rendant la stabilité de ces pentes discutable. Le premier passage clé est un dièdre vertical recouvert de neige, terminé par un champignon de neige, à travers lequel je dois creuser un tunnel. Le parcours se dessine ensuite entre de beaux murs, alternant sections mixtes et pentes enneigées. Le deuxième point crucial est une cheminée de neige compacte, que nous escaladons le dos au rocher. C’est la plus importante longueur de la voie, 60 m où la seule protection fiable est un Friend bleu. Mais au moins, le relais est solide.

Finalement, nous sortons sous le couloir de sortie, directement sous le sommet. Ne reste plus qu’à grimper cette longueur, évidente et directe, mais nous sommes préoccupés par d’énormes corniches en surplomb. Nous décidons alors de modifier notre plan et de bifurquer à gauche sur un terrain mixte, plus safe, mais menacé aussi par de probables coulées et corniches. Il commence à faire nuit et il nous faut surmonter le dernier obstacle, la corniche sommitale. Je trouve une fissure quelques mètres en dessous et j’y place un friend solide. Désormais bien protégé, je peux m’engager dans la dernière partie et heureusement, par une petite cheminée, je peux grimper facilement sans avoir à trop creuser. Nous atteignons le sommet à la tombée de la nuit sous les aurores. Nous nommons notre voie “Northern Lights“, V+/5+ M5+, 850 m. Comme reconnu la veille, nous descendons le couloir côté droit de la face Est.

UN PARADIS POUR L’ESCALADE SUR GLACE

Le lendemain, à peine rassasiés, nous escaladons une cascade ensoleillée juste au-dessus de la mer, 500 m cotée WI5/5+ . Pur plaisir. Ensuite, la plupart des membres de l’équipe sont rentrés en France pour le travail, mais Ludo et moi sommes restés. Nous louons une voiture et partons explorer la glace des Alpes de Lyngen, en effectuant nos approches à ski. Nous passons une semaine extraordinaire, visitant un spot différent chaque jour, sans jamais savoir si ces cascades que nous escaladons ont déjà été gravies. Et pratiquer la cascade de glace directement au-dessus de la mer nous ravit. La qualité exceptionnelle de la glace y est pour quelque chose. Une fois, nous avons gravi une cascade sans nous balancer plus d’une fois pour planter le piolet. Je n’ai jamais vu de glace d’une telle qualité auparavant ; peut-être est-ce dû à la proximité de la mer ? Pour que de la glace de bonne qualité se forme, il faut une température constante pendant une longue période, et il semble probable que le Gulf Stream contribue à tempérer les variations météorologiques et de température.

La ligne la plus difficile que nous avons gravie se situe à Lynkspollen au sud de Lynseidet. Il s’agit d’une cascade de 350 m avec une longueur finale cotée WI6, une fine glace avec une section légèrement en surplomb. La vallée de Kafjord est également forte attrayante, avec ses deux côtés recouverts de glace. Juste au-dessus du parking sud, nous rencontrons les seuls autres grimpeurs que nous avons vus pendant tout le voyage, deux Finlandais venus ici pour le week-end. Une cascade classique de 300m de WI3/3+ et en supplément, un magnifique mur juste à sa gauche, 60 m en 5+. Puis, nous nous sommes également rendus dans les gorges d’Ornersdal, plus en amont de la vallée, où nous découvrons de nombreuses lignes magnifiques, dont une WI6 de 60 m, cachée au bout d’un couloir étroit. Un peu plus loin dans la gorge, nous escaladons de belles parois verticales, aussi larges que hautes. Direction ensuite au-dessus de Furuflatten, dans la vallée qui mène à Jiehkkevarri, le sommet le plus haut du massif où nous grimpons de magnifiques cascades. Une approche courte d’une heure permet d’atteindre de nombreuses possibilités, un large couloir en glace de 100 m et quelques centaines de mètres plus loin, un autre beau mur plus raide.

Lors de notre séjour dans les Alpes de Lyngen, nous avons croisé, depuis notre voilier, des dauphins, fait d’excellentes descentes à ski et avons été émerveillés par les aurores boréales. Je dois y revenir, il y a tant à faire, des vallées entières à découvrir avec ses centaines de cascades qui n’attendent que nos crampons et piolets.

En septembre, alors qu’il descendait le Cervin avec un client, Gerald est tombé. Notre voyage et le film que nous avons réalisé (Stovelen et les garçons de Bruno Peyronnet ; www.realpiniste.com) sont dédiés à sa mémoire.
Philippe Batoux

STØVELEN , L’EIGER DES MERS

Une pyramide rocheuse dans le massif de Lyngen qui domine de ses 854 m le fjord du même nom. En fin d’après-midi, au soleil couchant, cette silhouette sombre se détache des sommets enneigés en second plan pour prendre l’allure de l’Eiger. Imposante face Est qui tombe dans l’océan.
Nous sommes preneurs d’informations sur d’autres ouvertures et voies estivales ou hivernales.

 

Avec son doctorat en mathématiques en poche à l’Université de Provence Aix-Marseille, Philippe devient guide de haute Montagne en 1995 et intègre l’École de Nationale de Ski et d’Alpinisme à Chamonix en 2001 en tant que professeur. Chez Glénat, il est l’auteur de 3 ouvrages « Mont Blanc, les plus belles courses », « cascades de glace, s’initier et progresser » et dernièrement, en 2020, « Mont Blanc, les plus beaux itinéraires à skis“.

Bien plus qu’un alpiniste expérimenté, c’est l’un des plus doués de sa génération, Philippe est un globe-trotter qui ne cesse de parcourir la planète à la quête des plus belles lignes, comme au Groenland, en Antarctique et en Norvège…. de la région Sognefjord à celle d’Ofotens.
Accro à la verticalité, sa prédilection va au terrain mixte extrême : un mélange de glace et de rocher faisant appel à toutes les techniques d’escalade en rocher, en glace et en artificiel.
Philippe ne se limite pas aux lignes à grimper mais aussi aux belles lignes à dévaler. Comme le Nant Blanc sur l’Aiguille Verte avec Alex Pittin et Christophe Jacquemoud ou comme le couloir dans la face de Stetind, considérée comme la plus belle montagne de Norvège.

“Mon métier consiste à vous comprendre et vous découvrir afin de vous proposer le meilleur programme en fonction des conditions de la montagne et de vos motivations.”

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