Trollveggen et Patrick Cordier

Prenons le temps de revenir sur un exploit sportif en montagne des années 70, une aventure discrète tombée dans l’oubli, pour dresser le portrait d’un alpiniste français et de ses compagnons de cordée d’une part et d’autre part, de s’intéresser à la voie rocheuse la plus haute d’Europe qui ne se situe pas dans les Alpes mais en Norvège, dans le massif de Trolltinden, bordant la vallée de Romsdalen, Trollveggen.

©Photos : Shutterstock – Montagne Mag – Marek Raganowicz et Marcin Tomaszewski

DIRECTION ÅNDALSNES À LA DÉCOUVERTE DE CE SITE EXCEPTIONNEL

Le long de la vallée de Romsdalen, des massifs imposants coiffés de neige une bonne partie de l’année, surplombent des vallées verdoyantes. Ici, les montagnes prennent des formes spectaculaires, que la nature a sculptées à l’extrême. Il y a dix mille ans, la dernière période glaciaire a pris fin et a révélé un paysage façonné par les glaciers. Ces gigantesques processus géologiques ont creusé les profondes vallées et les fjords que nous connaissons aujourd’hui.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Trollveggen n’est pas seulement réservé qu’aux alpinistes. Plusieurs sentiers balisés en face ouest vous permettent d’accéder à la plus haute flèche du massif, culminant à 1 788 mètres en trois heures. Cette randonnée de 11 kilomètres demande d’être un minimum bien entraîné et familiarisé avec les terrains rocheux et escarpés, et dans ces conditions, vous pouvez gagner la plus haute flèche du massif, culminant à 1 788 mètres. Et pour savourer d’avoir gravi cette belle montagne et le panorama impérial que vous offre cet exceptionnel point de vue, il faut vous équiper de telle sorte à ne pas le regretter, si le mauvais temps vous surprend. Dans votre sac à dos, une doudoune, vêtements de rechange, couverture de survie, briquet tempête en plus des indispensables.

UN BIG WALL ENTRE LA FACE NORD DE l’EIGER ET EL CAPITAN

Le « Mur des Trolls » en français, cette grande paroi des Alpes scandinaves culmine à près de 1800 mètres d’altitude et se targue d’être la plus haute paroi rocheuse verticale d’Europe, plus de 1100 m. La roche est du gneiss et ne ressemble guère au granit solide de Yosemite. Le mur des Trolls ne voit qu’un peu de soleil le matin; même en été, la glace remplit les fissures de ce mur exposé au nord. La roche est présente, mais généralement peu solide, et des chutes de pierres continuelles sont la norme. La neige et la glace sur les corniches et les reliefs fondent pendant les journées les plus chaudes, augmentant les chutes de pierres et nécessitant l’escalade de sections de roches mouillées sur la plupart des itinéraires. La recherche d’itinéraire est un défi majeur sur la plupart des itinéraires, tout comme la météo : les tempêtes qui surviennent fréquemment tout au long de l’année sont graves : la bruine se transforme en grésil, les chutes de glace et les conditions glissantes entraînent de sérieux dangers objectifs.

UNE PREMIÈRE FRANÇAISE

En effet, du 22 juillet au 10 août 1967, 5 alpinistes français ont ouvert une voie dans la face nord de Trollveggen, “la directissime”, Patrick Cordier, tout jeune grimpeur accompagnant les plus expérimentés Yves Boussard, Jérôme Brunet, Claude Deck et Jean Fréhel. Une escalade de plus de 1 100 m de haut, 37 longueurs jusqu’au 6+ et A4 (echelle de cotation d’escalade artificielle allant de 1 à 6). Pour information, A4 signifie de très longues sections techniques, les points de progression peuvent avoir 10 mètres d’écart. Une longueur de 40/50 m peut demander plusieurs heures d’efforts. Des points solides entre coupent ces sections très délicates avec des chutes potentielles pouvant atteindre les 50 mètres. Le récit de cette première ascension par nos frenchies reste très vague.

Nous recherchons l’article paru dans le Journal “Le monde” du 12 aout 1967.
Cela a dû être une première ascension très difficile et exigeante pour l’époque, étant donné la nature compacte du rocher car l’équipe a passé 21 jours à fixer et progresser sur des cordes fixes pour les 900 m depuis le bas de la paroi, puis a gravi les 200 derniers mètres en un jour. Les commentaires établis par ceux qui l’ont grimpé depuis sont éloquents. Cette voie n’a pas été répétée souvent, et c’est seulement qu’en 2009 qu’elle a été ouverte en escalade libre avec des passages en 8 ème degré.

TROLLVEGEN, TERRITOIRE DE CONQUÊTES

Avant eux en 1958, Ralph Hoibakk et Arne Randers Heen gravissent le pilier est par une voie qui est la première en degré VI en Norvège. Il leur a fallu 14 jours d’acension. Puis en 1965, c’est la première de la face nord par Ole Daniel Enersen avec Leif Normann Petterson, Odd Eliassen et Jon Teigland. D’autres exploits marquents ces années, La première ascension féminine en 68 par le pilier Est par Wanda Rutkiewicz et Halina Krüger. En 1970, première en style alpin par Ben Campbell-Kelly et Brian Wyvell et en 1972, sûrement la plus belle ouverture, la Voie “Arch Wall” lontemps considérée comme l’un des plus dur big wall de la planète, par Edward Drummond et Hugh Drummond.

Ensuite, quelques belles répétitions, pas si nombreuses et des ouvertures spectaculaires comme pour la voie « Katharsis » annoncée en A4/M7 sur 27 longueurs libérée par deux polonais Marek Raganowicz et Marcin Tomaszewski du 23 janvier au 9 février 2015. Se faufilant entre la « Voie Russe » et « Arch Wall », elle rejoint la « Voie Française » au niveau du pendule en haut de la face après une fissure en A4 délicate et une succession de toits dans la zone déversante de la paroi. En raison d’une tempête les grimpeurs durent patienter 2 jours mais la voie a été ouverte sans l’utilisation de cordes fixes.
À noter également le 10 Août 2010, Sindre Sæther, en compagnie de son père Ole Johan, qui ont libéré Arch Wall dans une première ascension en libre des 37 longueurs.

Retrouver l’ensemble des premières

TROLLVEGEN, LE FRUIT DÉFENDU DES BASE JUMPERS

En 1980, Jorma Oster, un finlandais un peu fou, a sauté en parachute du sommet du Mur des Trolls. Cette performance technique et de courage a attiré l’attention des base jumpers qui affluèrent du monde entier pour relever ce défi exceptionnel. Entre 1980 et 1986, il y eut plus de 150 sauts depuis le sommet du Trollveggen. Le norvégien John Mjøen y a d’ailleurs établi le record du monde de l’époque, avec 34 secondes de chute libre. En 1984, Carl Boenish, considéré comme l’inventeur du BASE jump, mais pas que, car c’est lui qui dans les années 80, a filmé les premiers sauts depuis El Capitan et qui a créé avec sa femme BASE Magazine, se tue dans la paroi. Alors après plusieurs accidents mortels et de dangereuses opérations de sauvetage plus que délicates, le base jump au Trollveggen est définitivement interdit à partir de 1986 et les fréquentes chutes de pierres rendant désormais impossible tout sauvetage, il est également interdit de piloter un hélicoptère près du mur.

Personnage insaisissable, en quelques mots, Patrick Cordier est né un 29 décembre 1946 à Besançon, de parents professeurs à Paris, il pratique la montagne à Chamonix où ses parents possèdent un chalet et s’initie à l’escalade à Fontainebleau et dans le Saussois. Il devient vite l’un des meilleurs grimpeurs de sa génération. Il décède le 5 juin 1996 sur l’autoroute Aix-Marseille au guidon de sa Kawasaki GT.
Alpiniste rochassier, guide de haute montagne, professeur à l’ENSA, spécialiste de l’escalade solitaire, Patrick Cordier est l’auteur de nombreuses ascensions de grande envergure, sur les parois calcaires du Sud-Est de la France. De 1968 à 1970, Patrick Cordier réalise d’importantes premières ascensions sur les parois calcaires du Sud-Est de la France (paroi du Duc au Verdon et paroi des Voûtes dans le Dévoluy). Puis en Amérique du Nord où pendant une belle année, il côtoie Yvon Chouinard, et dans les aiguilles de Chamonix où il va ramener coinceurs et friends des Etats-unis. Au Karakoram à partir de 1979, après l’expé française ratée au K2 ; il est l’une des figures de l’alpinisme moderne. Sa façon de grimper est alors engagée, une “escalade propre” où il réduit au minimum le nombre de pitons utilisés au profit des coinceurs.

Patrick Cordier est également chercheur en neurosciences, dessinateur, peintre, photographe et joue de plusieurs instruments de musique. Personnage contrasté, Patrick Cordier est à la fois secret mais séducteur, goûte aux drogues et croque la vie à pleines dents.

“Patrick Cordier n’a jamais cessé d’être cet agitateur d’idées. De l’escalade moderne et libre, il en fut le père spirituel au moment où l’escalade prenait son indépendance sur l’alpinisme. Grimper, c’était pour lui un cheminement, tout là-haut, où l’on promène son âme. Tranquille.” Juste avant les 2 autres Patrick, Edlinger et Berhault…

Alex Roth-Grisard pour Montagne magazine a écrit un très bel article rendant hommage à ce grimpeur talentueux, précurseur et attachant