L'univers musical si particulier de Fra Lippo Lippi

Sur un blog musical ”maymacmusic.com”, je découvre par hasard un passionné qui a écrit quelques lignes sur un groupe de new age norvégien de mon adolescence, Fra Lippo Lippi. Précédemment, nous sommes revenus sur la longue carrière de A-ha, ce groupe qui a connu un succès international durable dans le milieu des années 90, mais qui a forcément involontairement effacé, ou du bien estompé les talents de ce duo distillant une musique inventive et dans un filon “bien” scandinave.

© Photos : Alamy – DR

“ Quand mes camarades étaient sous l’emprise de la variété française, à cette époque Balavoine et Goldman en fer de lance, je me découvrais d’autres lubies : Duran Duran, Tears For Fears, The Cure, Depeche Mode, Talk Talk… Dans mon bled, j’étais seul à écouter ça ou en tout cas je le croyais. Ces groupes étaient déjà énormes, et faisaient partie intégrante du show-biz musical international. Mais là où je me trouvais, personne ne connaissait. Dès lors, non seulement leur musique me touchait au plus haut point, mais qui plus est, le fait de me réclamer d’eux, me donnait une certaine unicité, me semblait-il. L’adolescence est une période de remaniement, vous le savez bien…”
Pour ma part, je remplaçais dans mes écouteurs Duran Duran par Peter Gabriel et Genesis !  

“Dans Best de juillet 1986, celui où Bowie est en une de la revue, mon premier magazine, je découvre Fra Lippo Lippi. C’est un petit article dans les brèves, intitulé « Le frère a la côte ». Je découvre qu’ils sont norvégiens, et les quelques lignes de Jean Michel Reusser. Les deux musiciens du groupe Rune Kristoffersen et Per Øystein Sørensen évoquent leur dernier album « Songs » en date et le succès du single « Shouldn’t Have To Be Like That ». La France découvrait ce groupe et ce tube, en 86, alors que l’album datait de 85. Les Fra Lippo Lippi essayent dans cette petite interview, de donner à leur musique une profondeur tout à fait perceptible. Kristoffersen parle de leur processus de création, de leur amour pour le piano, de leur admiration pour Talk Talk (et bien d’autres choses comme la musique classique). Ils renvoient tous les deux une certaine sérénité et humilité, très scandinave finalement. Pendant très longtemps, en dehors de ce succès, je n’ai jamais eu l’occasion d’écouter d’autres morceaux du groupe, cédant ainsi aux dictats du « bon goût » et de ceux parfois qui l’établissent. L’ignorance et les certitudes sont les dérives courantes du jeune adulte.”
Moi aussi, il est vrai qu’après ce titre, nous sommes vite passé à autre chose…

“Bien plus tard donc, ans un élan de découverte et pour tuer le temps, j’ai mis le disque « Small mercies » sur la platine de la boutique. Et là, le miracle se produisit. Ce disque s’avérait être un chef d’œuvre. Et je pèse mes mots. Comment ai-je pu passer à côté de cette musique pendant tant d’années ? Par quel incroyable imbroglio et quelle méconnaissance ? Ce second album, sorti en 1983 en Norvège chez Uniton, puis réédité chez Divine en 84 pour la France, révélait enfin toute sa splendeur à mes oreilles si affûtées, me semblait-il. Il valait mieux tard que jamais, et c’est comme ça que j’ai pris la mesure de mon inculture (avec plein d’autres révélations bien sûr). Fra Lippo Lippi avec ce « Small mercies » est largement à la hauteur justement de Talk Talk, avec lesquels j’ai immédiatement comparé l’univers.”

“ Fort de cette découverte et animé du sentiment jouissif de creuser un filon, je me suis lancé dans la quête de trouver le premier album « In silence » en me disant que si le second était aussi fantastique, le premier ne devrait pas non plus être trop mal ou en tout cas, à peu près du même tonneau. Les critiques citent Joy Division ou The Cure comme modèles. Il est vrai que l’on n’est pas loin du compte, mais à la différence que, ici, l’album est quasiment instrumental. En effet Sørensen n’arrivera qu’un peu après cette sortie. Le climat y est singulièrement Coldwave, la batterie épurée à la manière de Tolhurst, la basse omniprésente. Neurasthénique à souhait, leur musique est une ode au désespoir, à la mélancolie. Je ne m’attendais pas à ça après « Small mercies », et pourtant, la filiation paraît si évidente. « In silence » porte bien son nom. Tout y est à l’économie instrumentalement, mais le résultat est absolument extraordinaire, et l’ambiance y est à la fois angoissante, suffocante, et terriblement déprimante. Un bijou de poésie sonore, sombre, un écrin de tourment, dont il faut tout de même, s’abreuver avec parcimonie. Un disque indispensable, vous l’aurez compris.”

“Je me replongerai dès lors dans la suite de la discographie avec « Songs » et « Light And Shade » qui illustrent chacun à leur manière, cette mue que Fra Lippo Lippi a fini par réaliser, avec une transformation plus Pop, lumineuse, tout en conservant sa simplicité intrinsèque.
Fra Lippo Lippi continuera à sortir des disques jusqu’en 2002, avec Sørensen aux commandes, Kristoffersen se retirant pour se consacrer à son label. Je n’ai pas eu l’occasion de les écouter, et il est curieux de constater que ces albums sont sortis aux Philippines en premier lieu, un pays où le groupe semblait avoir acquis une reconnaissance totale.”

“Rune Kristoffersen à partir de 2002 a donc créé son label Rune Grammofon et s’y complètement adonné, lui conférant une envergure internationale. Fort sans doute de ses contacts, et surtout de ses compétences artistiques, le catalogue de son label s’est étoffé au point d’en faire une structure absolument incontournable de la musique contemporaine. Orienté musiques expérimentales, jazz, électronique, ambient et avant-gardiste, Rune Grammofon possède une esthétique graphique unique et une ligne éditoriale passionnante (des groupes comme Alog, Supersilent, Nils Økland, Motorpsycho…). A l’époque c’est ECM qui le distribuait en France et c’est par leur intermédiaire que j’ai commencé à suivre le travail de Rune.On peut aussi noter des éditions (raretés, best of) de Fra Lippo Lippi sur Rune Arkiv (une division du label).”

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« Shouldn’t Have To Be Like That »

BIOGRAPHIE

Le groupe est formé en 1978 à Nesodden, près d’Oslo, par Rune Kristoffersen, Morten Sjøberg et Bjørn Sorknes après quelques années d’écriture et de répétitions sous le nom de Genetic Control. Le groupe joue du post-punk au moment de son premier album In Silence, ce n’est qu’après qu’il prend un tournant new wave classique et de synthpop. Le nom se réfère au poème Fra Lippo Lippi de Robert Browning. En 1981, Sorknes quitte le groupe, et donc c’est sous forme de duo qu’ils sortent leur premier album In Silence sous le label norvégien indépendant Uniton, très inspirés par The Cure et Joy Division.

En 1983, le processus de création les amène à considérer le fait d’avoir un chanteur à leurs côtés et c’est donc Per Øystein Sørensen, également originaire de Nesodden, proposé par leur ingénieur du son, assez doué il apporte une nouvelle dimension à leur musique. Après le succès de leur troisième album Songs, sorti en Norvège par le label Easter Productions (leur propre label) et la vente de 5 000 exemplaires sans promotion ou sorties de singles, ils signent en fin d’année avec la maison de disques Virgin UK d’envergure internationale. Le groupe est notamment connu pour la chanson Shouldn’t Have to Be Like that, tirée de l’album Songs, sorti en 1986.

En 2002, Kristoffersen se retire du groupe pour se consacrer à son label, Rune Grammofon, et le groupe publie In a Brilliant White qui comprend principalement les morceaux de Sorensen et qui est initialement publié et distribué aux Philippines. Le premier single, Later, devient un succès aux Philippines même avant la sortie de l’album, qu’EMI Philippines décide de l’intégrer dans un album. Il comprend un single, Wish We Were Two, en collaboration avec Per Sorensen et Kyla.

En septembre 2009, Sørensen sort Våge, son premier album solo et tout premier en norvégien. Une version en anglais, intitulée Master of Imperfection, est publié en 2012.

DISCOGRAPHIE

D'OÙ VIENT LEUR NOM ?