CULTURE SAMIE

Joik, le chant traditionnel

«Le joik, c’est toute une philosophie. Il parle des liens avec la nature et les gens qui vous entourent. Quand je joike, ma tête se remplit d’images. J’ai l’impression de voyager dans un lieu, ou dans l’âme de la personne que je joike.»

Elle Márjá Eira

©Photos : Marie Louise Somby – Alamy – T. Høegh – Creative Commons – V. Thiebaut – Benoît Derrier/Flickr

QU’EST CE QUE LE JOIK ?

Dans la tradition sami, la musique comme telle n’existe pas. Le joik n’est pas une chanson, une mélodie, c’est plutôt une manière de capter un objet ou un sujet dans son entièreté. C’est l’une des plus anciennes traditions “chantées” d’Europe. Le joik possède des particularités vocales et est dédié à une personne, un animal ou un lieu. Il est pratiqué dans de nombreuses situations quotidiennes.

Exécuté a cappella, parfois accompagné du tambour traditionnel, le joik est d’abord un chant à vocation spirituelle avant de devenir un mode d’expression du peuple sami à la fin du XXe siècle. Il se divise en trois grands types de chant : le « luohti », le « vuolle » et le « leu’dd » selon l’origine géographique des tribus samis qui l’ont créé. Le chant, qui peut prendre des formes extrêmement variées, laisse une large place à l’improvisation du chanteur, appelé le joikeur.

Chaque joikeur ou joikeuse possède sa propre mélodie qui est en quelque sorte son « portrait musical ». La caractéristique principale est l’utilisation de syllabes répétées à plusieurs reprises. Si certains joiks sont constitués de véritables textes compréhensibles, il existe également des formes dans lesquelles aucun mot n’est distinct, mais qui sont composées de murmures, d’interjections et d’imitations de cris animaux scandés sur une pulsation. Le joik porte les caractéristiques des styles de chants gutturaux des peuples montagnards. Il présente des similitudes importantes avec les chants traditionnels amérindiens ou encore avec les chants de gorge des peuples inuits ou des peuples d’Asie centrale.

«Le joik, c’est le langage du cœur. La fierté.
C’est personnel. Complexe. C’est L’identité. Les souvenirs. L’âme. La spiritualité.»

REGAIN D’INTÉRÊT ET RENOUVEAU DU JOIK

La colonisation opérée par les missionnaires chrétiens au début du XIXe siècle a placé les Samis devant la triste réalité du génocide culturel. La plupart des tambourins “chamaniques”, unique instrument d’accompagnement du joik sont brûlés. La prohibition, pendant près de 300 ans, du joik et du tambour chamanique aurait pu avoir définitivement raison de la tradition sami. Cependant, de nombreux chants sont parvenus jusqu’à nos jours grâce aux Samis qui ont continué à les chanter malgré l’interdiction.

La survie du joik au cours des siècles n’est pas évidente, malgré les nombreuses tentatives d’assimilation menées par le gouvernement norvégien. Aussi, pendant longtemps, le joik a été jugé subversif. Dans les années 50, sa pratique est interdite dans les écoles situées en région sami. Heureusement, les choses ont changé. Puis la production discographique sami connaît un développement important avec tout d’abord la parution en 1968 du premier disque enregistré par un artiste saami : l’album Joijuka, de Nils-Aslak Valkeapää, appelé Áillohaš en same du Nord. Les travaux de Nils seront pour beaucoup dans la renaissance du joik. À la fin des années 1980, la reconnaissance internationale dont a bénéficié la chanteuse Mari Boine a permis à la cause sami de se faire entendre à travers ses textes engagés et militants et des mélodies électro-acoustiques.

En fait, ces dernières années, le joik connaît même un regain d’intérêt. De nombreux jeunes musiciens l’incorporent dans leurs compositions et il est devenu de plus en plus populaire de combiner le joik à d’autres styles musicaux comme le jazz, le heavy métal et le rock.

Ce nouveau style d’interprétation des chants traditionnels saami inspirera toute une génération de nouveaux artistes : Wimme, Transjoik, Ulla Pirttijärvi, Sofia Jannok ou Jon Henrik Fjällgren. A présent, voici quelques autres grands noms de la chanson, connus pour la qualité de leur joik : Mari Boine, Ann-Mari Andersen, Frode Fjellheim, Ella Marie Hætta Isaksen, Elle Márjá Eira et Marja Mortensson.

QUELQUES EXEMPLES D’INTERPRÉTATIONS

Jour Polaire, une série télévisée franco-suédoise en huit épisodes de 2016. En plein été arctique, Kiruna, une petite ville suédoise du cercle polaire, est frappée par le meurtre mystérieux et particulièrement violent d’un ressortissant français. Le peuple sami est menacé par les agissements de consortiums miniers. Suédoise, Maxida Märak, joue une femme sami dévastée par la peine et la colère en interprêtant sa douleur en joik et ses revendications contre l’invasion d’un système économique dévastateur et en totale contradiction avec les valeurs samies.

En 2019, le groupe norvégien-sami KEiiNO a représenté la Norvège au concours de l’Eurovision à Tel Aviv. Mêlant pop, électro, dance et joik, leur chanson « Spirit in the sky », interprétée en anglais et en sami, a remporté la sixième place, mais le vote du public, comptant pour 50 pour cent du résultat final, les plaçait largement en tête !

Elle Márjá Eira est artiste norvégienne de Kautokeino aux multiples talents, gagnante d’Arctic Talent 2015 et de la Bourse GramArt en 2019. Elle joue dans sa langue maternelle sami avec une présence, une crudité et une ingéniosité qui transcendent les barrières linguistiques. Elle excelle à l’intersection du joik, de la musique électronique et autochtone. Membre du groupe Snoweye avec Lucy Parnell et John Paul Jones (Led Zeppelin). Elle Márjá est issue d’une famille d’éleveurs de rennes de Kautokeino et profondément enracinée dans cette culture. Elle a collaboré musicalement avec Christophe Beck dans le long métrage Le 12e homme de Harald Zwart. En 2019, elle fait ses débuts en tant que compositrice de musique de théâtre chez Sámi Našunálateáhter Beaivváš. Membre d’Article 3, la seule femme DJ de Sápmi. Elle réalise et produit plusieurs courts métrages, vidéoclips et séries télévisées NRK Sápmi.

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«Le joik, c’est les volutes des aurores boréales et le vent qui balaie les plateaux montagneux. Quand je joike, je me sens transportée dans un autre monde.»

Elle Márjá Eira